dimanche, mars 19, 2006

Le Théâtre d'entreprise (suite)

Voici la deuxième partie du travail de Grégory Carpentier sur le théâtre d'entreprise :

Toutes les sociétés de théâtre d'entreprise fonctionnent essentiellement sur le même schéma: une entreprise fait appel au théâtre d’entreprise pour l’aider à faire face à un changement ou à un problème. Dans cet état des choses, nous allons tenter d’illustrer des concepts par un exemple…

En 1998, Belgacom devait changer son statut de monopole public pour devenir une société de télécommunication européenne. Dans la mesure où les abonnés allaient devenir des clients, Belgacom devrait faire face à la concurrence. En 1994, Belgacom a réalisé une analyse des besoins de formation. Selon les résultats, Belgacom devait former son personnel au contact commercial avec les clients. La formation commerciale devait être dispensée à près de 7000 personnes et dans un délai de deux ans et demi. Pressé par le temps, la société ne pouvait par faire appel aux techniques traditionnelles de formation. M. Galoy, directeur des formations commerciales, veut donc former de grands groupes en peu de temps. Son choix se porte sur une société spécialisée dans le théâtre d'entreprise. Séduit par leur dynamisme et leur capacité de d’adaptation, il entame les négociations en mars 1994.

En règle générale, ce sont les grandes entreprises qui ont recours à cette technique. Etant donné le budget que cela représente, peu de PME peuvent se le permettre. Les commandes émanent du service ressources humaines, du service communication, du service formation et carrément de la direction.

Le projet « Belgacom à votre service » comprenait une pièce en 3 parties étalées sur une journée. Entre novembre 1994 et mars 1995, la société a donné 41 représentations dans toute la Belgique (dans divers centres culturels et dans la salle de l’Espace Senghor à Etterbeek). Il faut souligner que ces spectacles ont été donnés en français et en néerlandais.

La réception et ses conséquences

Comment le public réceptionne-t-il ce genre de spectacle ? Il est légitime de se poser cette question dans la mesure où il ne s’agit pas d’un public classique qui aurait volontairement payé sa place pour assister à une représentation théâtrale. Dans le cas de Belgacom, l’assemblée était composée de jointeurs de câbles, d’électriciens, de leurs supérieurs hiérarchiques, de paveurs, d’ingénieurs et des responsables des centres régionaux. On peut supposer que ce public ne fréquente pas régulièrement les théâtres.

Selon Xavier Van Dieren, un autre élément joue également sur la réception : le contexte de la représentation. En effet, dans un climat de tension, la réception sera plus délicate. Les comédiens ne devront pas toujours s’attendre à de grands éclats de rire. On peut constater néanmoins que le public tendu à la base sera sans plus détendu à la fin de la représentation. Dans un climat festif, la réception est moins délicate. Les comédiens peuvent s’attendre à des applaudissements, voir une « standing ovation ». Le théâtre d’entreprise peut-être perçu comme un véritable défi par les comédiens.

Globalement, le théâtre d’entreprise permet d’adresser un message identique à un public important en peu de temps, de favoriser la mémorisation d’un message en touchant l’affect du public, de déclencher une prise de conscience, de former de manière vivante et attrayante…Mais ces avantages ne sont garantis qu’à certaines conditions. Pour que le théâtre d’entreprise ait un impact à long terme, la direction et le personnel doivent faire écho au message diffusé. Le théâtre d’entreprise est avant tout un lien entre « le discours d’en haut et la réalité d’en bas ». Il s’agit d’adopter de nouveaux comportements. La représentation est une étape dans un processus de changement. Xavier Van Dieren déclare : « La business théâtre doit, en règle générale, s’accompagner de formations traditionnelles préalables et de formations postérieures. Nous n’intervenons qu’à un moment précis de la formation. S’il nous incombe de sensibiliser l’entreprise au travail de continuité, c’est à elle en revanche à intégrer le business théâtre dans un processus global. »

En général, les acteurs préfèrent le théâtre classique mais certains ne renient pas pour autant le théâtre d’entreprise. Celui-ci, en tant qu’outil de communication, leur apprend beaucoup de choses. Ils apprennent à faire passer des messages plus facilement dans la vie de tous les jours, à prendre conscience de leurs propres défauts, à gérer leur stress…

Le contact qu’ils ont avec le public est différent. Les interactions avec l’assemblée doivent être intenses pour que le message ait un véritable impact. Les pièces jouées font référence directement au quotidien de l’entreprise. Un rapport particulier entre les comédiens et le public peut s’établir dans le théâtre d’entreprise.

Dans une certaine mesure, les comédiens sont plus libres qu’au théâtre classique. Les textes et les règles ne sont pas spécialement figés. Ce type de théâtre peut donner lieu à des improvisations et favoriser ainsi la spontanéité des acteurs. Cette liberté se remarque également dans le choix des clients. Les acteurs sont libres de refuser certaines collaborations (ex : une commande d’un parti d’extrême droite) ou, au contraire, d’en favoriser. (

Le théâtre d’entreprise permet aux comédiens d’acquérir certaines capacités que le théâtre classique ne développerait sans doute pas aussi facilement. En collaborant avec le monde des entreprises, ils doivent en accepter ses règles et correspondre à ses attentes. Les comédiens des sociétés de théâtre d’entreprise adoptent des comportements plus flexibles, plus rapides et plus participatifs. Ces acteurs acquièrent des facultés supplémentaires en prenant part à cette expérience. Selon Michel Fustier, le théâtre d’entreprise est donc « un moyen de faire participer les comédiens à la vie économique, de les sortir du ghetto culturel et de les amener à rendre un service direct à la société dont ils font partie. »

Le revenu représente un autre attrait indéniable du théâtre d’entreprise. Il peut s’agir d’un revenu principal ou d’un revenu de complément. Généralement, le taux horaire est particulièrement intéressant pour les comédiens. Michel Fustier déclare : « …Et lui le comédien, il a parfois de la peine à comprendre que ce qu’il reçoit, ce n’est plus une aumône de la société pour ses complaisances envers quelques privilégiés, mais le salaire de son travail. Il est devenu citoyen à part entière. Ça sert, c’est utile, c’est vrai ! Quand il achètera une auto ou une machine à laver, il se dira cette fois-ci qu’il y a lui aussi un peu travaillé. » Xavier Van Dieren adopte une position sans doute moins excessive. Pour lui la sécurité financière de ces comédiens peut leur permettre de prendre des risques pour monter d’autres projets.

Grégory Carpentier

Aucun commentaire: